Notre thèse a pour objectif de documenter la constitution de la morphologie et l’histoire des conceptions de la morphologie depuis Humboldt, jusqu’à Saussure. Avec Wilhelm von Humboldt (1765-1837) la grammaire générale cède progressivement la place à la philologie comparée (Swiggers 1996) et à ce qui se constituera au tournant du XIXe et du XXe siècles comme la linguistique générale, dont on considère en général Ferdinand de Saussure (1857-1913) comme le fondateur. Entre temps, le XIXe siècle aura vu le développement de la grammaire comparée puis de la linguistique historique, champs dans lesquels Saussure s’est lui-même illustré avec son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (1878). L’histoire de la morphologie a déjà été étudiée dans le contexte du développement de la grammaire comparée (par exemple Hoenigswald 2000, Rousseau 2000), et en particulier dans le cadre d’analyses de l’apport du Mémoire (Bergounioux 2010). Le développement de la grammaire comparée est par ailleurs bien documenté (voir par exemple Auroux (dir.) 2000), de même que l’importance et les enjeux des élaborations de diverses figures majeures du XIXe siècle, au premier rang desquelles Humboldt (Trabant 1986, Knobloch 2001) ou Bréal (Bergounioux 2020). Cependant, il n’existe aucune étude d’ensemble du questionnement relatif à l’unité morphologique dans les théories linguistiques présaussuriennes, et c’est cette lacune que notre thèse se propose de combler. Par ailleurs, les études menées jusque-là prennent pour acquise la considération de Saussure comme le fondateur du structuralisme (Bergounioux 2013), et nous nous proposons pour notre part de reconsidérer la question à la lumière de la démonstration par Toutain (2012, 2014) de la différence de problématique séparant Saussure du structuralisme européen. Nous étudierons ainsi systématiquement les développements relatifs à la morphologie des diverses générations de comparatistes (Schlegel, Grimm, Bopp, Schleicher, Brugmann, Delbrück, Paul), ainsi que des romanistes (Diez, Meyer-Lübke), ou d’autres linguistes importants du XIXe siècle (outre Humboldt : Reisig et Gabelentz), du danois Rasmus Rask, précurseur du comparatisme, de l’américain William Dwight Whitney, auquel se réfère Saussure, de l’introducteur de la grammaire comparée en France que fut Michel Bréal, du psychologue du langage humboldtien Heymann Steinthal, et des linguistes de Kazan Jan Baudouin de Courtenay et Mikolaj Kruszewski, autres références de Saussure et, plus tard, des structuralistes.
Références :
Auroux, S. (dir.) (2000) : Histoire des idées linguistiques, vol. IIII : L’hégémonie du comparatisme. Liège : Mardaga.
Bergounioux, G. (2010) : « La phonologie comme morphologie », in Bronckart, J.-P., Bulea, E. & Bota, C. (éd.), Le projet de Ferdinand de Saussure. Genève, Paris : Librairie Droz, p. 105-124.
Bergounioux, G. (2013) : « Vers le Mémoire, ou comment le structuralisme vint à Saussure », Les dossiers de HEL [supplément électronique à la revue Histoire Epistémologie Langage] 3. Paris : SHESL.
Bergounioux, G. (2020) : Michel Bréal et le sens de la sémantique. Orléans : Presses universitaires d’Orléans.
Hoenigswald, H. M. (2000) : « Historical-comparative grammar », in Booij, G.E., Lehmann, C., Mugdan, J., Kesselheim W. & Skopeteas, S. (éd.), Morphologie vol. 1. Berlin : Mouton de Gruyter, p. 117-124.
Knobloch, C. (2001) : « Die Beziehungen zwischen Sprache und Denken : Die Ideen Wilhelm von Humboldts und die Anfänge der sprachpsychologischen Forschung », in Auroux, S., Koerner, E.F.K., Niederehe H.-J. & Versteegh, K. (éd.), History of the Language Sciences / Geschichte der Sprachwissenschaften / Histoire des sciences du langage, vol. II. Berlin : Mouton de Gruyter, p. 1663-1679.
Rousseau, J. (2000) : « La révolution morphologique », in Auroux, S. (dir.) (2000), p. 139-154.
Swiggers, P. (1996) : « Les débuts de la philologie comparée et la fin de la grammaire générale : Humboldt entre l’Europe et le Nouveau Monde », Incontri Linguistici 39, p. 18-60.
Toutain, A.-G. (2014) : La rupture saussurienne. L’espace du langage, Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant.
Toutain, A.-G. (2012) : Montrer au linguiste ce qu’il fait." Une analyse épistémologique du structuralisme européen (Hjelmslev, Jakobson, Martinet, Benveniste) dans sa filiation saussurienne, Université de Paris IV-Sorbonne, Thèse de doctorat en linguistique, sous la direction de Georges Molinié et Christian Puech (https://theses.hal.science/tel-00788676).
Trabant, J. (1986) : Apeliotes oder der Sinn der Sprache. Wilhelm von Humboldts Sprach-Bild. Munich : Fink.