Projet post-doctoral de Bruna Caires Delgado sous la direction de la PD Dr. Anne-Gaëlle Toutain (Bourse d'excellence de la Confédération suisse 2025-2026)
Ce projet postdoctoral s’inscrit dans le champ de l’histoire des idées linguistiques, et de l’analyse du discours matérialiste. Il vise à analyser comment les discours sur le langage et du langage se sont constitués dans ce qui est nommé « dispositifs de sélection et formation professionnelles » au Brésil, dans le cadre des relations entre éducation et travail et en lien avec les traditions scientifiques de la Suisse et de la France.
Historiquement, le processus de formation professionnelle dans l’espace de travail, au Brésil, était destiné à des groupes considérés comme non citoyens, auxquels il s’agissait d’enseigner la langue nationale, dont la maîtrise était nécessaire aux travailleurs. Progressivement, l’alphabétisation est devenue un pré-requis, excluant les non-lecteurs de cet espace de formation, l’alphabétisation devenant une prérogative de l’État et de l’Ecole.
Dès 1934, l’Institut pour l’Organisation Rationnelle du Travail (IDORT) – qui se présente comme le représentant, au Brésil, de l’Institut International pour l’Organisation Scientifique du Travail (IIOST) basé à Genève, en Suisse – a joué un rôle central dans la sélection des apprentis et travailleurs, via des tests d’intelligence fondés sur la psychotechnique, développée au début du XXe siècle en Suisse, à partir des études d'Édouard Claparède, et en France, avec Alfred Binet, Théodore Simon et Henry Piéron.
Ce projet analyse, précisément, les discours sur le langage et du langage présents dans les matérialités issues de ces pratiques, en particulier celles de l’Institut International de l’Organisation Scientifique du Travail, afin de comprendre comment les conceptions du langage liées aux savoirs psychologiques et biologiques sont mises en œuvre dans les tests d’intelligence susmentionnés.
Parmi ces textes, se trouvent notamment des documents disponibles à la Bibliothèque Nationale Suisse qui feront partie du corpus de cette recherche : livres, revues, actes de conférences et articles publiés par l'IIOST dans les années 1930. Ce n’est qu’au contact de ces textes que je pourrai constituer un corpus d’analyse issu d’un ensemble de textes institutionnels qui touchent au discours sur les thèmes du langage.
L’analyse de ce corpus visera à retracer les tensions, discontinuités et effets de mémoire qui participent à la constitution du sujet-travailleur. Ensuite, je chercherai à mettre en évidence deux caractéristiques : la façon dont les connaissances sur la langue s’accumulent et sont oubliées, en soulignant quelles sont les affiliations explicites et non explicites à des théories et les aspects des différents domaines de la linguistique qui soutiennent ces discours.
Ce projet ne se limite pas à l’exploration d’une théorie linguistique, mais a pour objet d’analyser précisément comment la notion de psychotechnique s’articule avec des conceptions du langage, conceptions qui peuvent être de natures différentes et même se contredire les unes les autres. Le projet aborde ainsi non seulement la question fondamentale de l’imaginaire du langage, mais aussi celle des filiations théoriques ou épistémologiques au sein des sciences du langage, qui déterminent la manière dont le langage est représenté ou enseigné aux travailleurs dans l’espace de travail.
En termes discursifs, aucune mémoire n'est homogène. C'est pourquoi je propose de retracer les discontinuités et les tensions des replis constitutifs de la mémoire linguistique qui a institutionnalisé la formation du travailleur dans l’espace de travail, en recourant à la fois aux méthodes de l’histoire des idées linguistiques et à celles de l’analyse matérialiste du discours. Cela est nécessaire parce qu’aucun ouvrage n’utilise la linguistique comme porte d’entrée pour comprendre cette histoire, où les discours sur le langage et du langage apparaissent comme évidents.