Projets archivés

Projet faisant partie du projet de la Prof. Dr. FNS Muriel Pic [Août 2016-Juillet 2020] : Par la voie des nerfs. Poétique et esthétique de la cénesthésie chez Henri Michaux (1899-1984).

ECCELLENZA 2016-2022

Le projet explore la conscience du corps (ou cénesthésie) chez l’écrivain et peintre Henri Michaux (1899-1984) dans le cadre des expérimentations sous psychotropes qu’il mène, entre 1955 et 1966, en collaboration avec les laboratoires pharmaceutiques suisses Sandoz et les principales institutions psychiatriques en France et en Suisse. Les recherches se fondent sur des archives inédites en Suisse et en France, provenant du fonds privé Michaux et de fonds de médecins et/ou d’institutions scientifiques : les archives de Julian de Ajuriaguerra (Clinique Belle-Idée et Hôpitaux Universitaires de Genève) ; les archives de Roger Heim (Musée d’Histoire naturelle de Paris); les archives Sandoz (Novartis, Bâle) ; les archives de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris, le fonds privé Pierre Pichot à Paris. Le projet était initialement intitulé Par la voie des nerfs. Poétique et esthétique de la cénesthésie chez Henri Michaux (1955-1966).

Le projet mobilise également le corpus des revues pharmaceutiques et médicales dans lesquelles Michaux a publié, en particulier la revue francophone des laboratoires Sandoz, Sandorama, autour de laquelle se cristallise vers 1960 « le cercle expérimental ». Ce corpus pose des questions relevant des études littéraires, des arts visuels, de la publicité, de la traductologie, du commerce et de l’histoire de la médecine et du graphisme. La revue Sandorama collabore avec des écrivains, des intellectuels et des critiques d’art, oscillant entre discours scientifique et artistique. Elle est, à son démarrage, un véritable laboratoire d’expérimentations formelles, au sein duquel se développe le « Swiss style ». Ce versant du projet s’intitule Par la voie des formes. Médecine, arts et expérimentations dans les revues pharmaceutiques des années Soixante : le cas Sandorama (1962-1965). Il est mené en partenariat avec l’Institut des Humanités en médecine de Lausanne : https://www.chuv.ch/fr/ihm/ihm-home/recherche/toutes-les-recherches/p-r/muriel-pic

Projet FNS du Prof. Dr. Muriel Pic

Collaboratrice Post-doc : Dr. Sophie Jaussi

Assistant : M. A. Valentin Decoppet

 

En 1886 se produit dans la poésie française ce que Mallarmé appelle « une exquise crise, fondamentale » : après avoir régi l'écriture poétique pendant plusieurs siècles, le vers métrique se rompt. Il reste un choix possible, mais cesse d'être une norme. Lorsque l'on se penche sur le métadiscours qui entoure cette « crise », on ne peut qu'être frappés par le poids sans précédent qu'y prennent les allusions au modèle musical. Le fait est bien connu – ce qui n'implique pas qu'il soit bien compris.

Fig. 1

Le présent projet envisage d'apporter quelques éléments à ce dossier à partir d'un point de vue inédit : plutôt que de chercher à démontrer une influence de la musique sur la poésie ou de se focaliser sur un moment singulier, il se propose de considérer parallèlement l'évolution des formes poétiques et musicales tout au long du XIXe siècle, de manière à mettre au jour, sous leurs surfaces, un fondement esthétique commun. Il s'agirait d'aborder les parentés entre les deux arts non comme le fait d'imitations conscientes, mais comme des réponses différentes à une même impulsion sous-jacente.

L'hypothèse de départ sur laquelle repose le projet consiste à postuler que les mutations des formes, tant musicales que poétiques, sont directement tributaires d'un changement plus profond dans le rapport de l'individu au temps et à ses subdivisions.

La musique et la poésie peuvent toutes deux être définies comme des arts reposant sur la disposition d'éléments sonores dans le temps. Or, on constate de part et d'autre, au fil du siècle, une progressive émancipation de la phrase vis à vis de la carrure symétrique et régulière présupposée par la mesure.

En poésie comme en musique, la division du temps est régie par deux paramètres principaux : d'un côté, la mesure (ou le mètre), qui est un moule choisi d'entrée de jeu, indépendamment de ce qui viendra le remplir ; de l'autre, le rythme singulier qui résulte de la forme du contenu. Le modèle classique, largement dominant au XVIIIe siècle, propose comme horizon d'attente une coïncidence parfaite du mètre et du rythme – c'est-à-dire une soumission de la phrase aux articulations prédéfinies de la mesure. C'est ce modèle qui, dans les deux arts, est subverti de l'intérieur pendant plusieurs décennies, jusqu'à un point de rupture où le rythme s'est affranchi si largement de ce « compteur factice » de la mesure (comme dit encore Mallarmé), qu'il ne fait plus sens de penser encore la mesure comme une norme. Telles se présentent la « crise de vers » de 1886 et, en musique, la crise métrique qui, pour être moins spectaculaire que la rupture de la tonalité, n'en est pas moins sensible autour de 1900.

Fig. 2

a) Une enquête systématique dans les ouvrages théoriques d'époque, tant musicaux que poétiques. L'idée de cette investigation sera de saisir dans leurs articulations fines les mutations progressives des conceptions du mètre et du rythme, et de l'usage qui est fait de ces notions dans la théorisation des pratiques artistiques.

b) Une série d'analyses ponctuelles de pièces poétiques et musicales où s'illustre la problématique de la saisie de la durée dans les formes artistiques.

c) Une mise en perspective de ces éléments avec des considérations de nature philosophique sur le temps, l'hypothèse étant ici que des penseurs de la fin du siècle, comme Bergson et Husserl, théorisent quelque chose qui était déjà présent depuis longtemps dans le travail formel des artistes, sans pourtant avoir été conscientisé ou conceptualisé.